En 2022, lors de la COP15, les Etats Parties à la Convention Biodiversité ont adopté le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal. Celui-ci comprend 23 cibles, dont une (cible 19) qui encourage à « promouvoir des systèmes innovants tels que […] les crédits et compensations en matière de biodiversité » afin d’augmenter les ressources financières destinées à protéger la biodiversité et, ainsi, atteindre l’ensemble des objectifs.
Que penser de ce nouveau mécanisme ? Vont-ils créer un nouveau marché, aussi complexe et controversé que celui du carbone ?
Nous avons mené un entretien à ce sujet avec Arthur Pivin, de Carbone 4, et Flavie Thévenard, du Musée National d’Histoire Naturelle.
Qu’est-ce qu’un « crédit biodiversité » ?
Un crédit biodiversité est une unité de « gain biodiversité » certifié, additionnel et durable. Ce gain est le résultat d’un effet positif sur la biodiversité généré par des actions favorables (agroforesterie, mesures conservatoires…). Concrètement, ce gain correspond à de la conservation (perte évitée) ou de la restauration (gain net).
Ce type de certificat représente une « unité de bénéfices qui soient durables, mesurés, adossés à des preuves tangibles et additionnels à ce qui se serait passé sans intervention » (Biodiversity Credit Alliance, 2024). L’additionnalité s’appuie sur plusieurs principes, comme le fait qu’un financement supplémentaire est nécessaire pour améliorer la gestion durable d’une zone. En cela, le certificat se différencie d’un label :
- Un certificat permet de quantifier des gains (X hectares ont été restaurés)
- Un label valide seulement le respect d’un cahier des charges défini, sans réelle évaluation de gains.
Pourquoi parler de « certificat » plutôt que de « crédit » ?
Le terme « crédit » suppose un « débit » : on pourrait compenser un « débit » de biodiversité (une destruction de forêt par exemple) par un « crédit ». Il suggère donc des équivalences entre des pertes et des gains, ce qui est très complexe en biodiversité : 2 écosystèmes sont difficilement comparables. Des projets de conservation ou de restauration peuvent générer des « gains biodiversité » mais il est difficile de démontrer qu’ils « annulent » des destructions. On entre ici dans une logique de « compensation », associée à des risques importants en termes d’intégrité et de solidité des indicateurs.
Le terme « certificat » permet davantage de traduire l’idée d’une contribution positive à la biodiversité plutôt qu’une annulation entre pertes et gains. Une contribution ne vient pas « annuler » un impact négatif. Idéalement, il faudrait que ces certificats s’inscrivent dans un cadre réglementaire, mais le volontariat peut constituer une piste intéressante. La progression de l’importance de la RSE rend crédible la piste d’une demande volontaire mais, sans une réglementation, le volontariat restera peu significatif par rapport aux besoins de financements estimés.
En revanche, pour un crédit de compensation, le cadre réglementaire nous semble obligatoire.
Quels sont les risques associés à la création d’un « marché biodiversité » ?
Dans notre rapport « Certificats biodiversité, risques et opportunités », nous avons identifié 9 risques :
- Pour les mécanismes de compensation : risque de perturber la hiérarchie d’atténuation. La compensation se ferait au détriment de l’effort d’atténuation, car la possibilité « d’annuler » des impacts amoindrit l’incitation à les éviter et les réduire.
- Greenwashing : la communication autour de bonnes pratiques viendrait occulter des impacts négatifs générés par ailleurs.
- Pour les mécanismes volontaires : risque de perturbation réglementaire. Ils perturberont ou retarderont l’émergence d’une réglementation environnementale à la hauteur des enjeux.
- Risques liés à l’évaluation des gains biodiversité : la biodiversité est un ensemble complexe qui peut difficilement être capturé par une métrique unique. Risque qu’il existe des faiblesses dans l’évaluation et le suivi des gains biodiversité, notamment liés i) aux caractéristiques de la méthode d’évaluation ii) à l’incertitude sur les scénarios de référence iii) à une double comptabilité des gains biodiversité.
- Risques liés à la fiabilité des processus de contrôle, renforcés par les conflits d’intérêts et inhérents à la position de certificateur.
- Risque lié à l’absence de valorisation des bonnes pratiques existantes, et des éléments du paysage déjà favorables à la biodiversité.
- Risques liés à la non-permanence des gains biodiversité.
- Risques liés aux déplacements des impacts hors de la zone certifiée
La notion de « compensation » suscite déjà les mêmes réserves que celles déjà soulevées pour la compensation carbone. Outre la perturbation de la hiérarchie d’atténuation, le caractère local de la biodiversité et l’absence de métrique de référence rendent la question encore plus difficile pour la biodiversité que pour le carbone.
Ce mécanisme doit servir à mobiliser les financements du secteur pour atteindre les objectifs du cadre mondial, pas à faire le plus possible d’hectares de restauration ! Cela ferait sens d’un point de vue économique, mais serait un non-sens absolu pour protéger la biodiversité.
Conclusion
En 2019, all4trees avait clairement pris position sur la finance carbone via notre plaidoyer sur le treewashing. Ce marché reste aujourd’hui très controversé, en raison des multiples dérives qu’il a occasionnées. Non, planter des arbres n’est pas une solution miracle pour lutter contre la déforestation et non, les crédits carbone ne doivent pas être un prétexte pour éviter et ne pas réduire ses émissions de CO2.
En 2024, notre collectif va donc accorder une vigilance particulière aux certificats biodiversité. Ils peuvent être un fort vecteur de financements privés, dans la mesure où ils sont bien conçus, ils ne s’appuient pas sur un principe de « compensation » et où un cadre réglementaire rigoureux est défini. Face à l’effondrement de la biodiversité, nous ne pouvons plus attendre ! Ces ressources financières peuvent se révéler très précieuses, dans la mesure où elles ne sont pas – une fois encore – une voie vers la marchandisation du Vivant.
Ressources supplémentaires
Certificats biodiversité : risques et opportunités
Note de positionnement de l’UICN
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