Élections municipales : l'arbre, cet objet politique planté dans la campagne

Les candidats veulent presque tous reforester. Mais le "greenwashing" guette

Plus vert que moi tu meurs. Quand Anne Hidalgo (PS) propose de planter 170 000 arbres à Paris, la liste LREM, qui était conduite par Benjamin Griveaux jusqu'à vendredi, dégaine une gare de l'Est transformée en "Central Park". 800 km plus au Sud, la guerre de l'arbre fait également rage : 80 000 plants et une "forêt urbaine" à Marseille annoncés par Martine Vassal (LR), 25 000 pour son concurrent à droite Bruno Gilles, ou bien une Canebière transformée en pinède touffue pour Sébastien Barles (EELV, Debout Marseille)... Pendant ce temps, Renaud Muselier, patron LR de la Région, peut ricaner : lui fait le pari de planter un million d'arbres en Paca... d'ici 2021 !

Mais quel est donc cet étrange virus arboricole qui semble avoir contaminé l'ensemble de la classe politique et, en premier lieu, les candidats aux municipales ? Certes, meilleur climatisateur naturel des villes, stockeur du délétère CO2, l'arbre semble paré de toutes les vertus. Dans une étude publiée dans la revue Science la reforestation est même évoquée comme l'"une des stratégies les plus efficaces pour atténuer les effets du changement climatique". De fait, des pays qui y sont déjà durement confrontés, comme l'Inde ou l'Australie, veulent accélérer la plantation de milliards d'arbres dans les prochaines décennies. L'Éthiopie, elle, s'est carrément targué de planter 350 millions d'essences... en un seul jour ! Enfin, les entreprises, comme les multinationales des hydrocarbures, comme Shell ou Total, mais aussi la plateforme de porno PornHub annoncent vouloir mettre des centaines de millions de dollars dans la reforestation. Une forme de "compensation carbone" à laquelle souscrit avec enthousiasme l'aviation civile... en pleine expansion à l'échelle de la planète.

Mais qui fait fort grincer des dents scientifiques et ONG environnementales. Car l'arbre "peut cacher une forêt d'inactions", voire d'actions néfastes pour l'environnement (poursuites des émissions, déforestation à l'autre bout du monde), selon Jonathan Guyot, ingénieur forestier et président d'all4trees. Cette association vient de rédiger un "Pacte Zéro Empreinte Forêt" à l'intention des candidats aux municipales. Il leur propose de devenir des "ambassadeurs des forêts", en intégrant 22 mesures concrètes, au sein de leurs programmes électoraux et en s'engageant à les mettre en place durant leur mandat.

Les maires disposent de vrais leviers

"Oui, il est génial que les gens soient sensibilisés à cet objet politique qu'est l'arbre, il incarne notre besoin de reconnexion avec la nature, reprend Jonathan Guyot. Mais il faut comprendre les enjeux posés par la reforestation." Le militant rappelle en préambule l'article L350-3 du Code de l'environnement, "qui dit justement que les arbres ne peuvent pas être coupés s'ils sont en bonne santé et ne présentent pas de risque pour le public". Autrement dit, une façon de s'engager en faveur de l'arbre, est déjà... d'épargner et d'entretenir correctement ceux qui existent ! "Un espace boisé perdu est très difficile à reconquérir", constate en effet all4trees. Or, à Marseille, selon l'Institut Montaigne, la surface boisée a diminué de 0,2 % entre 2013 et 2016. Les Marseillais ne disposent que de 7 m² d'espaces verts par habitant, contre 57 m² par habitant à Angers ! Et de nouveaux quartiers restent désespérément bétonnés, quand des projets d'infrastructures, tels le Boulevard urbain sud nécessite toujours l'abattage de centaines de pins adultes et sains...

Aux tout frais militants de l'arbre, Jonathan Guyot recommande donc de "repenser de vraies trames vertes inscrites dans les Plans locaux d'urbanisme, de donner une portée et une cohérence à leur politique environnementale". All4trees a calculé qu'il faudrait pour couvrir nos modes de vie et de consommation, en lien avec la déforestation importée une forêt de 75 000 ha pour les Parisiens. Le mode de vie des Marseillais, lui, impacte une forêt d'une surface de 30 000 ha ! "Dix arbres sur 100 m, ça ne sert à rien contre les îlots de chaleur, d'autant qu'il faudra 30 ans pour qu'ils jouent un effet clim." Le choix d'essences adaptées, leur irrigation seront aussi déterminants pour faire éclore de vraies "forêts urbaines".

Hors des annonces de campagne, les maires ont en fait de vrais leviers pour lutter contre la déforestation. "Ils peuvent agir sur l'alimentation, en cause dans la déforestation en Asie ou en Amérique du Sud, en interdisant le soja et l'huile de palme à la cantine, en proposant deux repas sans protéines animales, avec une option végétale quotidienne", suggère Jonathan Guyot.Ils peuvent aussi proscrire les biocarburantsdans les transports publics. Mais la meilleure façon de lutter localement contre la pollution reste encore... "de planter des arbres sur les places de parking", sourit le président d'all4trees.

Bref, de réduire drastiquement la place de la voiture en ville. "Une reforestation héroïque peut s'avérer utile, mais il faut arrêter de dire qu'il existe une solution naturelle à l'utilisation des énergies fossiles. Il n'y en a pas. Désolé", avait recadré Myles Allen, prof de science du géosystème à Oxford.

À Aix : la végétalisation, un enjeu dans les urnes

Ils seront 10 candidats à se présenter face aux Aixois, les 15 et 22 mars prochains. Et sur leur programme, l'environnement arrive en bonne place, y compris sur les brochures des partis politiques qui n'ont guère brillé, par le passé, pour leur engagement en faveur de l'écologie. L'excellent score des défenseurs de l'environnement aux dernières élections européennes à Aix y est sans doute pour quelque chose. Mais c'est aussi une polémique qui fleurit depuis plusieurs années maintenant dans la bonne ville du roy René qui a saupoudré de vert les débats de campagne. Celles et ceux qui passent aujourd'hui sur le cours Mirabeau après une dizaine d'années d'absence en seront sans doute interloqués : la voûte fournie des platanes centenaires a laissé la place à des jeunes arbres bien maigrelets. La faute au chancre, qui après avoir épargné Aix pendant des décennies, a touché la prestigieuse artère. Les coupes n'en finissent plus. D'autant plus que ces abattages font suite à d'autres, sur les places comtales voisines, donnant lieu à d'interminables polémiques. La mairie, accusée de bétonnage par ses adversaires, tente désormais de faire verte figure en lançant un vaste programme de végétalisation... à quelques mois des élections. À Aix, plus que jamais, les arbres se sont invités dans la politique.

Quand les citoyens achètent des forêts pour les préserver

On les a vus dans le Vercors... non pas sauter à l'élastique, comme dans la chanson de Bashung, mais devenir propriétaires forestiers. En novembre dernier, l'Aspas (Association pour la protection de la vie sauvage) est devenue propriétaire de 500 ha de forêt privée, dans un vallon isolé du Parc du Vercors drômois. Elle va en faire un sanctuaire pour la faune et la flore. Ici, plus de chasse, ni de coupe de bois : "Nos "Réserves de Vie Sauvage" sont faites pour que la nature puisse se cicatriser et que les équilibres naturels reviennent d'eux-mêmes", expose l'association. Dans ces zones préservées, l'activité humaine est autorisée mais réduite "à la balade contemplative et immersive, le rêve éveillé, l'observation tranquille et désintéressée". Depuis 2012, l'Aspas avait déjà acquis cinq autres terrains, soit 700 hectares au total, dans les Côtes-d'Armor, dans la Drôme et l'Hérault. Pour boucler le financement (2,32 millions d'euros) du site du Vercors, elle a fait appel aux donateurs. En novembre dernier, il lui manquait encore 150 000 euros : ils ont été récoltés en un peu plus de 24 heures grâce à l'intervention du journaliste militant de l'environnement Hugo Clément.

En tout, 12 000 citoyens ont mis la main à la poche pour aider l'Aspas à devenir propriétaire de ce qui sera la plus grande réserve de vie sauvage de France.