« Nous sommes fiers d’être les pionniers. » En ce jour de décembre 2019, un peu avant Noël, Anne Rigail a le sourire. Assise dans un fauteuil avec, à ses côtés, plusieurs invités d’honneur, dont Bertrand Piccard, copilote de l’avion solaire Solar Impulse, la directrice générale d’Air France savoure l’impact de l’annonce qu’elle a faite quelques semaines plus tôt. En octobre, la compagnie française a ouvert le bal en dévoilant que, dès janvier 2020, elle compenserait les émissions de CO2 de ses quelque « 450 vols intérieurs » quotidiens en finançant des projets de « plantations d’arbres, de protection des forêts, de transition énergétique ou encore de sauvegarde de la biodiversité ». Et de fait, quelques jours après, British Airways et easyJet lui emboîtent le pas. L’entreprise à bas coût va même plus loin, puisqu’elle avance déjà qu’elle sera la « première compagnie neutre en carbone au monde ».
Dans le ferroviaire, Eurostar propose, lui aussi, de planter un arbre à chaque fois que ses trains traverseront la Manche. Résultat, 20 000 arbres devraient être mis en terre, chaque année, dans les forêts britanniques, françaises, belges et néerlandaises. Quant aux majors pétrolières, toutes font savoir qu’elles vont opter pour des « solutions basées sur la nature ». Shell veut faire pousser plus de 5 millions d’arbres sur l’année aux Pays-Bas. Et lancer d’autres projets similaires en Espagne, en Australie et en Malaisie. Idem pour l’italienne ENI, mais cette fois sur 8 millions d’hectares en Afrique du Sud, au Zimbabwe, au Mozambique et au Ghana. Enfin, Total n’est pas en reste. En juillet, le Français a révélé vouloir investir 100 millions de dollars (90 millions d’euros) dans des projets forestiers.
Pourquoi, diantre, les entreprises se lancent-elles dans un pareil défi, à coups de millions d’euros, sans même qu’on les y oblige ? Premier élément de réponse, la forêt est la star incontestée de la compensation carbone « volontaire », un marché qui permet aux entreprises de financer en dehors de leur périmètre d’activités des projets de séquestration ou de réduction des émissions. En échange de quoi elles obtiennent des crédits carbone. En 2018, déjà, on comptait dans ce domaine près de deux fois plus de projets financés de cette manière liés à la forêt et à la gestion des terres que dans les énergies renouvelables, par exemple. Et ce succès va crescendo. A cela rien d’étonnant. A l’heure où les images des terres brûlées australiennes, des fumées d’Amazonie ou des sapins roussis par les canicules en France se font obsédantes, l’arbre a un capital sympathie inégalé.
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