Cette note de positionnement analyse une étude scientifique publiée dans Biological Conservation (Martin, M.P. et al., 2021), au regard des conclusions issues du Groupe de travail sur les “indicateurs d’évaluation d’impact” des projets de préservation et de restauration des forêts.
Cette étude fait état d’une très faible proportion d’organisations spécialisées dans la reforestation mentionnant l’utilisation d’outils de suivi des plantations d’arbres. Elle pointe du doigt un manque de transparence des projets de reforestation.
L’étude financée par The Nature Conservancy pour Yale University, cherche à mieux comprendre les actions de terrain de plantation d’arbres. En étudiant 174 organisations portant ou finançant des projets en zone tropicale et sub-tropicale, les chercheurs ont tenté de déterminer le type d’organisation impliquées dans les projets de plantation d’arbres, leur localisation et les approches et méthodes de plantation utilisées.
Cela vient conforter la position des porteurs de projets de terrain, et permet de renforcer nos recommandations sur la nécessité de mettre en oeuvre une évaluation d’impact des projets de préservation et de restauration des forêts pour renforcer la crédibilité des actions menées sur le terrain.
Un secteur en nette expansion
De 1990 à 2020, le nombre d’organisations portant ou finançant des projets de plantation d’arbres a augmenté de 288 %. Parmi les organisations étudiées, la proportion d’organisations à but lucratif a progressé pour passer de 12,5 à 22 %, reflétant un attrait accru du secteur privé pour la plantation d’arbres, dans un contexte d’économie verte et de marché du carbone en expansion.
Et cette dynamique va s’accentuer avec la « Décennie de la restauration des écosystèmes 2021 – 2030 », l’appel de l’ONU à la mobilisation internationale pour intensifier massivement la restauration, ainsi que la reprise par les décideurs politiques et dirigeants d’entreprises de l’étude controversée de Bastin et al. (2019) sur le potentiel de reforestation à l’échelle mondiale.
Un manque de transparence
L’étude met en avant un manque de transparence sur les approches de plantation d’arbres, rendant difficile l’analyse de la pertinence et de la qualité des projets à partir des informations publiques.
Afin d’analyser les projets de plantation d’arbres, les chercheurs ont épluché les informations mentionnées sur les sites internets des organisations et dans leurs rapports annuels. L’occasion de remarquer qu’il y a souvent un manque flagrant de transparence quant à leurs actions de plantation :
- plus de la moitié des organisations n’ont pas mentionné de méthode en particulier (agroforesterie, plantations mixtes, sylvopastoralisme, monoculture), outre indiquer planter des arbres (90/174) ;
- la moitié des organisations n’ont pas précisé les espèces végétales plantées.
Les bénéfices de la plantation d’arbres diffèrent grandement selon l’approche de plantation choisie, le choix des espèces plantées, leur diversité et dépendent surtout de la pertinence de ces choix face aux pressions locales sur les écosystèmes forestiers. Alors que ces informations sont primordiales pour évaluer la qualité d’un projet et ses bénéfices à long terme, plus que le nombre d’arbres plantés, elles sont souvent introuvables pour le grand public.
Un manque de suivi et de reporting
Le suivi des plantations et de leur taux de survie est le grand absent des sites internets et rapports annuels. Parmi les 174 organisations étudiées, seules 18 % d’entre elles mentionnent le suivi (monitoring), et seulement 5 % mentionnent la mesure du taux de survie des plantations.
Difficile de savoir si les organisations concernées ont mis en place des méthodes de monitoring et reporting en interne, sans forcément communiquer les résultats publiquement, ou si le manque de mention dans les informations communiquées reflète un réel manque de suivi sur le terrain.
Les chercheurs notent d’ailleurs que la plupart des organisations se fixent des objectifs de nombre d’arbres plantés, sans pour autant mentionner de taux de survie. Ce manque de prise en compte de la survie des plantations peut mener à des échecs à long terme, avec certains projets emblématiques ayant des taux de mortalité des plantations frôlant les 90 %, particulièrement dans les cas de plantation de mangroves (Kodikara et al, 2017).
Enfin, les chercheurs soulignent également que les impacts des projets de reforestation ne pourront être évaluer qu’à moyen terme, entre 5 et 20 ans minimum, bien au-delà des périodes de suivi annoncé par la plupart des organisations.
Sortir du seul indicateur du “nombre d’arbres plantés”
Il est possible que les organisations concernées ne communiquent pas ces informations en considérant qu’elles ne seront pas prises en compte ou comprises par le grand public, la mention du nombre d’arbres plantés étant la plus simple à comprendre.
Réduire les projets de reforestation au seul indicateur quantitatif du nombre d’arbres plantés ne permet pas d’évaluer les impacts des projets (positifs comme négatifs). Le nombre d’arbres plantés n’est qu’un indicateur de réalisation. La diminution du taux de mortalité peut-être un indicateur de résultat direct d’un changement de mode opératoire pour maximiser le succès des plantations. Quand à l’impact, il ne pourra se mesurer qu’à moyen, voire long terme, sur l’appropriation des méthodes et les bénéfices socio-économiques pour les populations, par exemple.
Les organisations ayant une approche holistique des projets de préservation et de restauration des forêts, s’appuyent sur un large panel de solutions adaptées au contexte local, au-delà de la « plantation d’arbres », et sont plus à même de répondre aux enjeux sur le terrain qui ne peuvent se résumer à un « nombre d’arbres plantés ».
Plus de clarté et de collectif
L’étude est conclue par un appel à plus de communication entre les différentes acteurs de la plantation d’arbres :
L’intérêt et l’engagement grandissant des ONG et organisations à but lucratif pour la restauration et la plantation d’arbres offre un grand potentiel en termes d’atténuation climatique, mais une meilleure communication entre la communauté scientifique, les organismes financeurs et les acteurs de terrains permettrait de rendre ces efforts plus efficaces et durables.
Il est fondamental que les porteurs de projets de restauration et de préservation des forêts puissent mettre en place des méthodologies de suivi des résultats de leurs projets et de leurs impacts à long terme. Ces informations doivent être au maximum rendues publiques afin de permettre aux mécènes et à la société civile de se rendre compte de la qualité des projets.
Le Groupe de travail sur les « indicateurs d’évaluation d’impact », animé par la communauté all4trees avec le soutien de la Maisons du Monde Foundation, regroupe 8 porteurs de projets, 4 mécènes, 1 cabinet de conseil «climat » et fait intervenir des expert(e)s scientifiques de la restauration et conservation des forêts. Il a pour objectif d’établir un référentiel des indicateurs essentiels à mesurer pour évaluer la réussite d’un projet et ses bénéfices à court et long terme, notamment en termes environnementaux, sociaux, et économiques.
À l’heure où émerge un « marché de l’arbre » concurrentiel avec des « prix de l’arbre » tirés vers le bas et trop peu de transparence sur les réels impacts des projets sur le terrain, la communauté all4trees poursuit son travail de co-construction et de plaidoyer pour valoriser la qualité des projets. Le Groupe de travail permet de partager des connaissances et expériences afin de définir des indicateurs clairs permettant d’évaluer les impacts et garantir la qualité d’un projet de restauration et de préservation des forêts.
Recommandations
Ces recommandations sont issues d’un rapport de capitalisation sur les méthodes d’évaluation d’impact des projets de préservation et de restauration des forêts du Groupe de travail sur les « indicateurs d’évaluation d’impact ».
Mettre en oeuvre un suivi-évaluation des projets
Le rapport de capitalisation sur les méthodes d’évaluation d’impact des projets de préservation et de restauration des forêts montre l’expertise acquises par de nombreuses organisations terrain sur le sujet. Bien que coûteux et chronophage, ces outils sont un gage de sérieux et professionnalisme, car sont avant tout utilisés comme outils d’amélioration continue et de gestion de projets. Ce sont également des outils de dialogue parties prenantes permettant de rendre compte en toute transparence de l’utilisation faite de fonds et de leurs effets.
La mise en oeuvre d’outils de suivi-évaluation doit être un pré-requis, peu importe la taille et le budget du projet. La définition d’un référentiel d’indicateurs d’impact et de suivi permettra de contribuer au renforcement de capacité des porteurs de projets.
Communiquer sur le suivi-évaluation
Comme l’a montré le rapport de capitalisation du Groupe de travail, les résultats émanant de l’évaluation d’impact sont très peu valorisés dans les communications institutionnelles à destination du « grand public » ou des mécènes, mais sont plutôt utilisés en interne, à destinations des partenaires locaux et des bailleurs institutionnels
Les méthodologies d’évaluation d’impact sont avant tout utilisées comme des outils de réflexion stratégique permettant aux porteurs de projets de remettre en question les modes opératoires et les stratégies de développement des projets.
Communiquer de manière sincère et transparente, en trouvant le levier pour résumer simplement la complexité des interventions des projets devient une nécessité. Dans un contexte de défiance accru vis-à-vis des projets de « plantation d’arbres », notamment à l’international, il en va de la nécessité de crédibiliser les actions sur le terrain et les éventuels impacts à long terme.
Valoriser la qualité des projets
Une question reste cependant centrale pour être en mesure de valoriser la qualité des projets et leur capacité à délivrer des impacts à moyen terme : comment trouver un langage commun avec le monde de l’entreprise pour être en mesure de présenter les indicateurs d’impact d’une manière simple et visuel ?
La réponse se trouve certainement au-delà de la création d’un référentiel d’indicateurs d’évaluation d’impact, dont l’utilisation doit être un pré-requis, mais dont les éléments de communication relèvent plus du domaine de l’expertise.
Il semble nécessaire de définir un système de garantie afin de définir si un projet est en mesure de délivrer des « bénéfices potentiels », les rendre compréhensibles et facilement comparable.
Source : Meredith P. Martin et al. People plant trees for utility more often than for biodiversity or carbon. Biological Conservation, Volume 261, 2021.
À lire : Rapport de capitalisation – Méthodes d’évaluation d’impact des projets de préservation et de restauration des forêts. all4trees, 2021.
Crédit photo : Suivi de l’évolution de la croissance des arbres sur un projet de recherche et développement en République démocratique du Congo (RDC) © Axel Fassio (CIFOR)