[ÉDITO] COP26 ou la grandiloquence de l’arbre qui cache l’inaction

La COP26 est un événement incontournable de l’agenda international pour le climat. Elle est décisive pour rehausser l’ambition climatique de l’Accord de Paris. Mais de nombreuses forces obscures sont en marche pour maintenir un statu quo d’inaction climatique, notamment en se servant de la « compensation carbone ».

L’occasion de vous parler des coulisses de nos actions depuis plus de 3 ans pour faire bouger les lignes et éviter que des entreprises s’annoncent « neutres en carbone » en « plantant des arbres », ce que nous appelons communément du #treewashing (l’art de faire du greenwashing en plantant des arbres).

Dans une interview pour le podcast The Big Shift animé par Xavier Seux, Jonathan Guyot revient sur l’ensemble des enjeux de la « neutralité carbone » et les actions portées par la communauté all4trees.

Les enjeux de la COP26

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié en août 2021 nous rappelle que le monde n’est pas sur la bonne voie pour rester en dessous des 2°C voire 1,5°C de réchauffement global par rapport à l’ère préindustrielle. Les engagements climatiques actuels des États nous mettent sur une trajectoire de + 2,7 °C en 2100, par rapport à la température moyenne avant l’ère industrielle (1850).

Pour éviter cela, la COP26 doit permettre de :

  1. Rehausser l’ambition climatique pour diviser les émissions de gaz à effet de serre par deux d’ici 2030, comme le préconise le dernier rapport du GIEC ;
  2. Finaliser les règles d’application de l’Accord de Paris, notamment l’article 6  au sujet des mécanismes de « marché carbone » (qui est une véritable usine à gaz…)
  3. Mobiliser la finance climat pour les pays dit du « Sud », car le compte n’y est toujours pas et ne sera pas suffisant par rapport aux besoins, notamment en terme d’adaptation au changement climatique.

Mais à la COP26 les forces obscures sont en marche…

Le problème de la « compensation carbone »

L’un des principaux enjeux de la COP26 est la négociation de l’article 6 de l’accord de Paris, qui traite du marché carbone et des démarches de « compensation carbone ». Un sujet très controversé que nous connaissons bien. Ne soyons pas dupes, beaucoup d’entreprises tentent de se faire passer pour « vertueuses » et entretiennent des modèles et des discours qui favorisent le greenwashing et l’inaction climatique.

La COP26 n’y échappe pas. Glasgow est devenu le théâtre du greenwashing à son paroxysme (voir article du média Vert). Greta Thunberg a même quitté une table ronde en dénonçant le greenwashing des «  crédits carbone » face à Mark Carney vice-président de la compagnie pétrolière Shell, qui avait annoncé en 2019 vouloir planter 5 millions d’arbres . En effet, très souvent les annonces de « neutralité carbone », notamment des compagnies pétrolières et de l’aviation, reposent sur la « plantation d’arbres » plus que sur une réelle stratégie de réduction des émissions de gaz à effet de serre…

Les entreprises qui prétendent être « neutres en carbone » en « plantant des arbres » sont complices de l’inaction climatique ! (comme le souligne l’avis publié par l’Ademe).

marche pour le climat
Slogan lors d'une marche pour le climat "la planète au détriment du profit" © Markus Spiske (Unsplash)

Un rapport publié par le CCFD Terre-Solidaire (octobre 2021) a épinglé 3 grandes entreprises françaises qui abusent de la « compensation carbone » à grand renfort de #treewashing. Un autre rapport publié par Oxfam (août 2021) a montré que les engagements « zéro émissions nette » des gouvernements et entreprises engendraient un risque d’accaparement des terres.

Début 2020, à l’occasion d’une table ronde sur la compensation carbone et la reforestation que nous avions organisé dans le cadre de notre Groupe de travail « Compensation carbone et reforestation », et qui a réuni plus de 120 professionnels, nous avions également rappelé la responsabilité des acteurs intermédiaires (cabinets de conseil, plateforme de « vente d’arbres »…).

À grand renfort de marketing simpliste, ces intermédiaires entretiennent ce statu quo au seul intérêt de leurs bénéfices (ou marges indécentes) et ne font qu’adapter leurs discours sans changer leurs pratiques. Ces mêmes acteurs laissent croire qu’il est possible de « planter des arbres » pour quelques euros, voir quelques centimes ou avec des « crédits carbone » vendus à moins de 5 € / teqCO2, ils ne font q’ubériser et précariser les acteurs réellement engagés sur le terrain.

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Il n'est pas possible de « compenser les émissions carbone » d'un vol en avion en « plantant des arbres » © Sam Wilis (Pexels)

Le problème des « crédits carbone »

Les mécanismes de certification carbone sont en inadéquation avec la complexité des projets forestiers et la recherche de multiples impacts sur le terrain. Une étude scientifique publiée dans Nature (Koh, L.P. et al., 2021) a fait état des limites des mécanismes de « certification carbone » pour préserver les forêts tropicales, et appelle à développer d’autres leviers de financement.

Si un outil n’est ni adapté à la complexité des enjeux ni largement adopté par un grand nombre d’acteurs, il ne peut se prévaloir comme l’unique solution légitime pour financer l’action climatique et la préservation des forêts.

De plus, les projets de « plantation d’arbres » sont de plus en plus critiqués. Une récente étude scientifique publiée dans Biological Conservation (Martin, M.P. et al., 2021), fait état d’un manque de transparence flagrant sur les impacts des projets de « plantation d’arbres » de la part des organisations.

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Aucun projets de plantation d'arbres ne nous permettra de « compenser nos émissions carbone » © John O'Nolan (Unsplash)

Dans un contexte de défiance accrue vis-à-vis des projets de « plantation d’arbres », notamment à l’international, il semble essentiel et urgent de crédibiliser les actions sur le terrain et les éventuels impacts à long terme.

C’est face à ces constats, qu’en 2021 la communauté all4trees a lancé un nouveau Groupe de travail sur l’évaluation d’impact des projets de préservation et de restauration des forêts. Notre objectif est de sortir des logiques de comptabilité en « nombre d’arbres plantés » ou « teqCO2 » qui ne sont pas représentatives de la qualité des projets.

Forêt et climat, même combat !

Les forêts jouent un rôle primordial pour lutter contre les changements climatiques. La déforestation et la dégradation des forêts représentent 15 à 17 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales !

Alors pourquoi s’évertuer à planter des milliards d’arbres pour essayer de « compenser » nos émissions alors que nous n’avons même pas résolu la question de la préservation de milliards d’hectares de forêts ?

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Déforestation dans la Péninsule du Yucatán au Mexique © Jonathan Guyot

L’étude de J.F. Bastin et al. (2019) relative aux « 1.200 milliards d’arbres qui annuleraient 10 années d’émission de CO2 », controversée par de nombreux chercheurs (et même par les auteurs de l’étude…), continue à servir d’alibi à des entreprises peu scrupuleuses pour justifier leur inaction et à d’argument marketing à des entreprises de “plantation d’arbres”. Alors que l’ONU appelle à la mobilisation internationale pour intensifier massivement la restauration, cette dynamique ne doit pas cacher la nécessité absolue et primordiale de préserver les écosystèmes existants.

Le rapport conjoint entre le GIEC et l’IPBES (2021), a rappelé que « l’augmentation exponentielle des demandes de compensation carbone n’a pas maximisé les bénéfices de ces actions pour la biodiversité ». Ce rapport montre également que les actions permettant de préserver la biodiversité ont un impact positif pour le climat, et que l’inverse n’est pas toujours le cas. Il faut sortir de la seule lorgnette « teqCO2 ».

Réduire drastiquement les émissions de CO2 doit être notre principal objectif. Contribuer à préserver ET restaurer les forêts est la seule solution pour nous permettre d’atteindre l’équilibre de la « neutralité carbone planétaire » d’ici 2050. C’est-à-dire, avoir assez d’écosystèmes naturels en bonne santé pour absorber et équilibrer les émissions que nous continuerons à émettre, qui devront représenter 2 teqCO2 / habitant / an en 2050 (contre 9 teqCO2 / français / an actuellement).

C’est pourquoi la COP26 aurait dû être l’occasion de faire converger ces deux agendas internationaux que sont le climat et la biodiversité. Mais finalement le climat continue d’éclipser la question de la biodiversité (voir article d’Uzbek & Rika), avec un aveu d’échec sur la question de la déforestation (voir article sur France Info).

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La COP26 a été une occasion manquée de de faire faire converger deux agendas internationaux que sont le climat et la biodiversité © Julian Leicht

Derrière la mascarade, l’espoir est là !

La mobilisation citoyenne est grandissante depuis 3 ans, avec de très jeunes porte-parole comme Greta Thunberg qui a déjà mobilisé + 1,7 millions de signataires à l’occasion de la COP26. Cette même mobilisation qui a permi à L’Affaire du Siècle de faire condamner l’État français à agir pour le climat. Nous le voyons tous les jours en animant des ateliers de la Fresque de la Forêt, les citoyens veulent devenir acteurs, comprendre et agir. Ils sont de plus en plus conscients du greenwashing, de l’inaction des entreprises et des gouvernements.

marche pour le climat
Slogan lors d'une marche pour le climat "pas d'entreprise sur une planète morte" © Markus Spiske (Unsplash)

Chaque semaine, nous avons également la chance d’échanger avec une nouvelle génération d’entrepreneurs et entrepreneuses qui font de leur mieux pour concilier modèle économique et réduction des impacts. Nous sommes admiratifs de leurs engagements et fiers de les compter parmi les partenaires de la communauté all4trees, car ce sont des personnes déterminées, passionnées et généreuses, qui savent rester humble sur le chemin qui reste à parcourir.

Personne n’est parfait, dans un monde complètement imparfait. La première chose est d’avoir l’humilité de l’assumer et de reconnaître que nous avons un impact. L’enjeu étant de réduire cet impact.

Comme l’arbre qui a besoin de ses racines pour survivre, nous construisons des solutions qui répondent à la racine des problèmes et portons une vision holistique des enjeux de préservation et de restauration des forêts.

Nous ne pouvons pas répondre aux défis aussi complexes que sont la crise climatique et de la biodiversité par des solutions trop simplistes. Nous devons continuer à agir avec radicalité, courage et audace.